La sélection du jour
Auguste ARMENGAUD
La baleine de Cap Cod
Dans un geyser soudain enluminé de givre
Sa dorsale se love au trait blanc du miroir
Que sa puissante queue agite comme un battoir
De souffle pur enfin le grand rorqual s’enivre.
Le lourd bateau l’épie d’une allure docile
Et le croise bientôt sur sa route placé
Du courant tropical à l’abysse glacé
Bleu pèlerin rieur à la peau trop sensible.
Nous qui osons t’approcher à te toucher presque
Tu te joues de nos vies avec perversité
Puis tu sondes (1) à nouveau vers cette immensité
Dans un bouillonnement d’écume gigantesque.
Doux animal secret aux amours invisibles
Que ne fuis-tu cette mer repue de coquins
Te rendant plus chétif au milieu des requins
Que mille tueurs noirs (2) des fonds imprévisibles ?
(1) Plonges, terme de baleinier
(2) Epaulards ou orques
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Mario FERRISI
Septembre
Ma fenêtre découpe un couchant de septembre
Deux arbres échevelés secoués par l'autan
Ils marbrent un firmament de barbilles diffuses
D'une beauté cuivrée qui enchante mes yeux
Je vois sur un massif un joyau solitaire
Un croquis étonnant, un cadre sans rival
Une légende ambrée qui a perdu ses ailes
Un reflet immortel, halo de Gatimel
Avant les tournesols et les flots de la route
Un saule pleure en silence sous les rayons de plomb
Sur son front hiératique, penchent ses longs cheveux
Qui épousent en concert le ronron des roseaux
Tous ces attachements me paraissent grandioses :
L'automne au front fiévreux charrie le crépuscule
Il trouble la langueur des oiseaux solitaires
Et toutes les chimères si chères à leurs desseins
Ma fenêtre découpe un couchant de septembre
Qui a vu plein d'étés s'évanouir comme un rêve
Elle va me raconter, me dire une autre histoire
Au son des beaux accords qu'entonnera la vigne...
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Jean FOURIE
Estèlas
Per delà nuèits e jorns
Que davalan del cèl
Que dison las estèlas ?
Per delà albas e calabruns
Relòtges del silenci ;
Per delà monts e vals
E mai luènh que la lum
Que dison las estèlas ?
Presonièr de sa gabia de carn
L'uèlh cèrca sens saber,
Sens saber e sebs veser
L'infinit del neient.
Que dison las estèlas
Al cercaire de vida ?
Le crit dels òmes s'esperlonga,
Cada jorn ten son mistèri
E cada sèr sas paurs novèlas.
Que dison las estèlas
Dels lendemans sens fin ?
La vela es alandada
E la nau s'enfiòca
Dins un lhauç d'esperansa.
Traduction
Etoiles
Au-delà des nuits et des jour
Qui descendent du ciel
Que nous disent les étoiles ?
Au-delà des aubes et des crépuscules
Horloges du silence,
Au-delà des monts et des vallées
Et bien plus loin que la lumière
Que nous disent les étoiles ?
Prisonier de sa cage de chair
L'oeil cherche sans savoir,
Sens savoir et sans voir
L'infini du néant.
Que disent les étoiles
A celui qui cherche sa vie ?
Le cri des hommes se prolonge.
Chaque jour à son mystère
Et chaque soir ses peurs nouvelles.
Que nous disent les étoiles
Des lendemains sans fin ?
La voile est déployée
Et la nef prend feu
Dans un éclair d'espérance.
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Evelyne GENIQUE
Voile de brume
Le brouillard dépose des perles sur les branches.
Les tiges s'élèvent, toutes gelées.
Des fantômes givrés s'amusent.
Les herbes continuent de grelotter.
Des milliers de diamants brillent en avalanches.
Les sapins frissonnent, tout en finesse, dans le silence.
La bise, qui s'agite en arabesques folles,
Pique comme un démon,
Et mon corps tremble de ses frissons.
Rêve intense, chante la blanche nature,
Aux arbres parés de grandes chevelures immaculées.
J'écoute pleurer le vent, qui de ses assauts m'enivre;
Invisible dans le ciel, personne ne peut le consoler.
Il chasse le brouillard enveloppant du matin,
Qui a mis son écharpe autour de la colline.
L'automne s'aventure doucement,
Tel un couturier créateur de beautés en couleurs,
Suscitant à l'infini des sensations sublimes.
Comme un orchestre philharmonique,
Il joue une symphonie blanche,
Et le silence des notes sans couleur s'épanche.
Mon cœur est rempli d'étoiles qui flamboient,
Mes yeux sans arrêt sur le qui-vive brillent d'émois.
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Claude SUBREVILLE
Le banc de pierre
Sur le grand banc de pierre ,
A l'ombre du platane ,
Les hommes assis sont fiers...
D'histoires , ils se pavanent. .. !
Ils passent là , leur temps..
Tous ,plus ou moins coiffés
De casquette ou béret..
Ce , depuis le printemps
Quand passe une « NATURE ››..
D'un plus jeune âge qu'eux ,
Leur regard se sature...
Ils n'ont plus que leurs yeux.. !
Ah , si on était plus jeune...
Pensent-ils , très souvent... !
Que de choses ,quand même..
On ferait autrement I
Un jour , c'est le silence ,
On parle à demi mot..
L'un d'eu× est en partance..
Pour aller ...tout la-haut. ._ !
Ils évoquent cet « ETRE ›› ..
Qui vient de les quitter..
Que d'é1oges peut-être..
Qu'il n'a pas mérités. ..
Sur le grand banc de pierre
L'ombre a disparu..
C'est un peu la misère..
L'hiver est revenu ..............
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